Lobservation et lanalyse des usages sociaux de linternet inclut le décryptage dexpressions telles que internet solidaire, internet citoyen, internet équitable, internet militant... Lattribution à un outil ou à un ensemble doutils dune qualité morale, la solidarité, la citoyenneté, léquité, semble inappropriée, même sil nous arrive de lutiliser nous mêmes par commodité : en effet à un outil technique peuvent être associées des caractéristiques techniques, par exemple linternet haut débit, linternet sécurisé, mais non des qualités morales (ou des défauts) qui sappliquent à des personnes, à savoir les utilisateurs, et aux usages quils en font. Loutil internet favorise-t-il le développement dusages allant dans le sens dune plus grande solidarité entre humains, de plus déquité ou dun sens plus élevé de la citoyenneté ? Voilà ce que nous nous proposons danalyser dans une suite de contributions dont la première concernera la solidarité humanitaire.
Lobservation et lanalyse des usages sociaux de linternet inclut le décryptage dexpressions telles que internet solidaire, internet citoyen, internet équitable, internet militant... Lattribution à un outil ou à un ensemble doutils dune qualité morale, la solidarité, la citoyenneté, léquité, semble inappropriée, même sil nous arrive de lutiliser nous mêmes par commodité : en effet à un outil technique peuvent être associées des caractéristiques techniques, par exemple linternet haut débit, linternet sécurisé, mais non des qualités morales (ou des défauts) qui sappliquent à des personnes, à savoir les utilisateurs, et aux usages quils en font. Loutil internet favorise-t-il le développement dusages allant dans le sens dune plus grande solidarité entre humains, de plus déquité ou dun sens plus élevé de la citoyenneté ? Voilà ce que nous nous proposons danalyser dans une suite de contributions dont la première concernera la solidarité.
Internet solidaire
Plusieurs associations ont inclus le terme dinternet solidaire dans leur raison sociale : ainsi, lune des premières, lassociation IRIS (Imaginons un Réseau Internet Solidaire) et lune des plus récentes, lAssociation Nord Internet Solidaire (ANIS). Mais de quelle solidarité sagit-il et entre qui ?
Selon le dictionnaire « le Robert », sont solidaires « des personnes qui se sentent liées par une responsabilité et des intérêts communs » Dispositif mondial de communication et dinformation, linternet va évidemment jouer un rôle important dans le développement dusages faisant appel à la solidarité : solidarité familiale, communautaire, professionnelle, humanitaire
; le développement de logiciels libres a constitué lun des premiers usages de linternet faisant appel à une forme de solidarité et de coopération entre développeurs de logiciels.
Restreignons nous dans un premier temps à la solidarité humanitaire et plus particulièrement à la collecte de fonds par linternet.
Internet et collecte de fonds par les ONG : lactualité
Sujet dactualité : la collecte de dons associés au raz de marée du 26 décembre 2004 en Asie du Sud pourrait, du fait de lampleur de la catastrophe et du mouvement de mobilisation mondial quelle soulève, marquer une étape importante dans le rôle de linternet dans lévolution de cet usage. Lanalyse des pratiques constatées et des chiffres permettra de le préciser.
On peut néanmoins dès maintenant faire un certain nombre dobservations :
- Différence de réactivité selon les associations concernées : certaines ont réagi très rapidement : ainsi la fédération internationale des Sociétés de la Croix Rouge et du Croissant Rouge, a-t-elle dès le 27 décembre publié sur son site un dossier dinformation sur la situation, lancé un appel à dons, rapidement relayé par la plupart de ses instances nationales, et «activé son Service des Recherches afin de localiser les personnes disparues, mais également pour établir une liste des personnes blessées et décédées en coordination avec les Sociétés Nationales de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge des pays concernés par la catastrophe. »( http://www.ifrc.org/fr , http://www.croix-rouge.fr , http://www.familylinks.icrc.org/) : tout un dispositif construit autour de linternet est donc déclenché.
Dautres ONG ont été plus lentes : plusieurs nont pas actualisé leur site internet avant le 30 décembre : si internet permet une très grande réactivité, encore faut-il que les organisations et les hommes qui les constituent la mettent en uvre.
- Traitement par les média : sils ont souvent relayé cette information sur leur site, les médias mentionnaient rarement à lantenne les adresses des sites internet des associations concernées.
- Réactions du public : Il semble également quau don « en ligne » impersonnel et solitaire, beaucoup ( du moins cest ce que nous en font voir les média) préfèrent une solidarité expressive et chaleureuse telle que la mobilisation physique autour durnes disposées dans un lieu public par des bénévoles pour recueillir leurs dons.
On pourra aussi réfléchir a posteriori sur le rôle quauraient pu ( et du) jouer les technologies de linformation et de la communication si les infrastructures en téléphone et internet avaient été plus développées et si un dispositif dalerte avait existé : des scientifiques ont en effet indiqué que, avertis par leurs observations de limminence du raz de marée, ils nont pu faire parvenir linformation dans les zones menacées (cf "plaidoyer pour des systèmes d'alerte aux raz de marée", J.C. Sibuet, Le Monde 4.1/05, p.21).
Internet et collecte de fonds par les ONG
Une étude très détaillée, documentée et pertinente du rôle actuel et potentiel de linternet pour la collecte de fonds avait été réalisée en 2000 par Jean Philippe Henry dans son mémoire de recherche « Trop éthique pour être @u Net ? », disponible sur le site de lOUI. Elle reste dune grande actualité et mériterait dêtre complétée en particulier par les évolutions de la question en particulier en France et par la mise à jour des références.
Depuis se sont par exemple développées les initiatives du Comité de la Charte qui réunit des associations humanitaires soucieuses de garantir à leurs donateurs une gestion éthique et transparente des fonds mis à leur disposition : publication dune recommandation « communication et collecte de fonds par Internet » et mise en uvre du site http://aidez.com qui se présente comme le « portail de la solidarité en ligne ». par ailleurs des collectes de dons très organisées sappuient désormais largement sur linternet : le site du téléthon fait appel explicitement à la solidarité des internautes : : « moi je me bat et avec toi, internaute, je gagne », accepte que des organisations marchandes agissent comme intermédiaires avec les donateurs. Ainsi peut-on lire, parmi dautres messages à connotation commerciale : « Pour la cinquième année consécutive, les internautes [nom dun fournisseur daccès à linternet] apporteront leur soutien et ne manqueront pas de relever le défi des années précédentes, en multipliant leurs dons en ligne »
Le processus de sensibilisation associé à lappel au don concerne tous les médias, mais linternet y joue sans doute un rôle grandissant et y apporte des éléments nouveaux : information du donateur avant et après lacte de don, éventuellement dialogue avec des membres de lassociation ou dautres donateurs, voire avec des bénéficiaires, et parfois proposition dune participation active à lassociation et aux décisions concernant les modalités demploi des dons.
Rappelons quelques apports techniques de linternet à la collecte de fonds :
- la réactivité : possibilité de disposer très rapidement dinformations en ligne, provenant des organisations qui sollicitent un don et des acteurs et de témoignages sur les faits eux mêmes et de comparer les propositions de dons faites par plusieurs organisations
- Linteractivité : possibilité dinstaurer un dialogue entre lassociation et les donateurs qui acquièrent un certain droit à la parole.
- le paiement en ligne : cest lun des moyens de paiement proposé sur la plupart des sites des associations, mais pas le seul. Il suppose la disposition dune carte de crédit et surtout la confiance dans ce type de paiement et la familiarité avec sa pratique, liée à son utilisation pour des achats commerciaux. De même que la vente dun produit ne se résume pas à lacte de vente, la collecte de fonds pour laide humanitaire ne se résume pas à un paiement en ligne.
La pratique de la collecte de fonds sur linternet présente en fin de compte pour chaque acteur des avantages et des risques largement développés dans le travail de J. Ph. Henry, parmi lesquels :
Pour le donateur :
- la possibilité dêtre mieux informé et de comparer les conditions de dons proposées par un panel dorganisations
- la possibilité de suivre les actions de lorganisation à laquelle il a choisi de faire un don, voire dy participer.
Pour lorganisme bénéficiaire :
- Collecte et relance moins coûteuse (comme pour létat avec limpôt en ligne)
- Permet de sortir
de ce que J.Ph Henry appelle à de petites organisations datteindre un large public
- Association à dautres services en ligne : information, vente de livres, services spécifiques à linternet :
- Possibilité de personnalisation et dun dialogue sur lemploi du don : courriel, forum
- Réactivité : exemple Croix Rouge ou par rapport au raz de marée
- Risque de brouiller son image si le don est lié à un message commercial mis au même niveau que des publicités commerciales, ou subtilement récupéré au profit dorganisations marchandes en mal de « parure éthique » qui, en prétendant déclencher la générosité des internautes, récupèrent pour leur compte le « mérite » du don. Les associations, notait J. Ph. Henry, « ont gros à perdre à vouloir suivre les sirènes envoûtantes des sites lucratifs qui leur proposent de sagglomérer au sein de « supermarchés de la générosité en ligne ».
Ceci dit, à profil social, professionnel et culturel voisin, linternaute pratiquant le don en ligne donne-t-il plus, mieux ou autrement que le non internaute ? Lusage de linternet a-t-il une action sur la générosité et la solidarité effective ? Ceci reste encore à établir à partir de lanalyse des modalités et des résultats des différentes opérations de collectes de dons.
Michel Elie 2 janvier 2005